02oct.

Joker, un polar sans concession

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A Gotham, Johnny Frost, petite frappe avec des rêves de grandeur et un désir d’évolution dans le monde du crime organisé, a “l’honneur” d’aller chercher une pointure locale qui doit se voir relâchée, et sur laquelle il table pour se faire connaître : un choix aussi judicieux que risqué, le ponte en question n’étant autre que l’inimitable et incontrôlable Joker. Le tristement célèbre Clown du Crime se voit effectivement remettre en liberté, l’administration ayant considéré qu’il n’était pas fou et que sa place n’était aucunement - contre toute attente - à l’Asile d’Arkham. Criminel homicide majeur et passablement azimuté, prêt à tout pour théâtraliser ses apparitions et ses horribles faits d’arme, fan de chauve-souris et de l’intérêt qui peut lui être porté, cette légende du Mal n’a qu’un objectif : reprendre ses sinistres activités et ce faisant récupérer sa place, celle d’ennemi public numéro 1 - et accessoirement son statut de monstre de foire primordial aux tendances sadiques avérées.

Pour Johnny, se mettre au service d’une telle figure est l’occasion de briller, de faire ses preuves et de devenir incontournable : il va ainsi faire office de chauffeur, homme de main, confident et souffre-douleur d’un Joker en complète roue libre et devenir le témoin privilégié - et victime putative - de ses errements meurtriers et de sa folie galopante, de ses exactions et perversions diverses, variées et surtout sans limite. Compagnon d’abord admiratif et fasciné pas son nouveau boss, il va bien vite déchanter devant son absence complète de morale et de remords, son mépris affiché pour toute règle et naturellement toute vie, sa mégalomanie délirante et sa cruauté sans borne. Pire encore, sa plongée avec “Mister J.” - petit surnom donné au Joker par Harley Queen - dans les tripots abjects et l’underworld crasseux de Gotham l’amène à côtoyer la lie de l’humanité en les personnes des “congénères” de son patron, aux réputations et habitudes tout aussi infâmes et dérangées que les siennes : de Killer Croc au Pingouin, du Sphinx à Double-Face, ils partagent tous des façons de vivre et des comportements aux confins de la criminalité et de l’horreur. La seule constante des membres de cette cour des miracles est l’étrange mélange d’attraction et de peur qu’ils ressentent à la simple évocation de l’ombre protectrice de Gotham, déité innommable à la manifestation redoutée. Le Joker n’a cependant aucunement cure de cette probable intervention punitive - qu'il recherche néanmoins activement - et se lance à corps perdu dans des actes toujours plus effroyables, dans une folie toujours plus grandiloquente pour récupérer son territoire et faire honneur à sa réputation. Johnny Frost pourra-t-il supporter longtemps son délirant patron et surtout y survivra-t-il ? Jusqu’où peut aller le Joker et de quelles manières ? Et qui l’arrêtera - spoiler, on est à Gotham... - ? Un polar urbain glauque au traitement réaliste entièrement dédié au pire criminel de Gotham, une proposition de roman graphique inédite à découvrir.

Apparaissant dans le 1er numéro de Batman, daté de 1940, et pourtant toujours aussi fringant, le Joker fête cette année ses 80 ans. Incontournable figure de la galerie de vilains DC Comics - qui en compte pourtant une palanquée -, “Bad Guy” à la carrure internationale voire icône universelle, star mutimédia par excellence - cinéma, de dessins animés, produits dérivés... -. Le Joker, immédiatement reconnaissable mais pourtant toujours différent, fascine et attire autant qu’il repousse et terrorise. Tant dans ses incarnations comics - de clown pathétique et déjanté à trublion libertaire et criminel en passant par maniaque ridicule et homicide... - que dans les comédiens qui l’ont incarné - César Romero, Jack Nicholson, Heath Ledger, Jared Letho...et sa dernière incarnation Joaquin Phenix -, il est toujours semblable mais invariablement autre, symbole du chaos primordial, du changement permanent et de la réinvention perpétuelle. Les équipes artistiques, toutes disciplines confondues, qui ont eu à le mettre en scène l’ont toujours mis en résonance avec l’époque qui le voyait sévir et adapté aux circonstances qui le voyaient intervenir. Dans l’itération présentée par Azzarello et Bermejo, le Joker est malsain, violent et surtout plus réaliste que jamais, se calant sur l’interprétation qu’en a donné feu Heath Ledger dans “Dark Knight : Le Chevalier Noir“ de Christopher Nolan (2008 - 2ème segment de la trilogie).

Gangster fou à lier pour qui la vie n’est qu’une blague, il y est dépeint comme un personnage excessif, à la liberté absolue et aux mouvements d’humeur incontrôlables et incontrôlés. Personnage neutre par lequel le lecteur est amené à découvrir la réalité de ce maniaque homicide, Johnny Frost, découvre bien vite l’envers du décor aux côtés de son sinistre et délirant boss : si son ambition l’a initialement dévoré avec le choix de l’aider et de le suppléer, c’est la peur, voire la terreur qui bien vite l’étreint...et il n’est pas le seul. Tour à tour, voire en même temps, patron cohérent de gang qui veut récupérer son territoire et psychopathe maboul à l’envie de meurtre quasi perpétuelle, ses opposants comme ses associés ne savent jamais ni sur quel pied danser, ni s’ils pourront voir le jour se lever au vu de sa cyclothymie exacerbée. Le récit conduit par Azzarello, jouissif et malaisant, met ainsi en scène un Joker à l’imprévisibilité la plus absolue, vivante incarnation de la folie au besoin délirant d’attirer sur lui l’attention - en particulier celle d’une certaine chauve-souris - dans une ville glauque à souhait à l’ambiance la plus crasseuse. La “découverte” des différentes facettes du personnage principal, qui passe par un narrateur “neutre” - Johnny Frost -, permet d'appréhender cette bête sauvage “in vivo” dans la jungle urbaine dont il est sans doute le pire prédateur. C'est à Lee Bermejo qu’incombe l’honneur de retranscrire l’ambiance, saumâtre et crépusculaire, de Gotham et de ses “pensionnaires” ; c’est une réussite absolue, un choix évident. Il rend à la perfection le danger permanent de ces rues livides livrées aux pires dépravés, l’oppression perpétuelle induite par une architecture infernale, la saleté répugnante des lieux de vie où se masse une fange aux allures démoniaques, la démence des damnés, la détresse des victimes et la solitude des habitants de Gotham, ville-Enfer qui ne pouvait que donner naissance au Joker. Son style particulier, alternant peintures photo-réalistes et dessins aux palettes de couleurs variées et contrastées magnifie ce lieu de chaos et campe de bien belle façon les personnages de ce musée des horreurs à ciel ouvert.  Au final, Joker constitue un instantané dans la vie de cette légende du mal à la réalisation graphique impeccable et au scénario efficace.

Brian Azzarello  est un  scénariste de comics reconnu et multiprimé - en particulier pour 100 Bullets avec Eduardo Risso, série essentielle du polar noir -. Spécialiste des récits noirs, violents et complexes, il a travaillé sur des comics “mainstream” - tout public - en particulier pour DC - Superman, Batman... - et Marvel - Spider-man, Luke Cage...- mais préfère les séries où il peut donner libre cours à son tempérament plus “rugueux” - Hellblazer ; Loveless... -. Dessinateur autodidacte au style immédiatement reconnaissable, Lee Bermejo a travaillé pour les plus grandes maisons de l’industrie comics - Image, DC, Marvel... -.  Bermejo et Azzarello ont collaboré sur nombre de récits indépendants et hors-continuité pour DC Comics : Lex Luthor ; Joker ; Batman Noël et Damned...

Pour qui : toutes celles et tous ceux à la recherche d’un polar tortueux et sans concession / ceux qui s’intéressent aux arts graphiques intenses et à l’architecture urbaine / les fans du Joker, personnage “Bigger than Life” par excellence / ceux qui veulent découvrir la mythologie Gothamite sous un nouveau jour - public averti : 16 ans et + -

Le + : A l’occasion du 80ème anniversaire du Joker, l’hommage rendu est extrêmement important et il apparaît pour ainsi dire partout en 2020 : dans la série Batman (arc “Joker War” en cours de parution) ; album spécial 80 ans ; parution de Killer Smile, consacré au sinistre clown mais très psychologique, par Lemire et Sorrentino ; série animée Harley Queen...Une mini-série est actuellement en cours aux Etats-Unis - parution courant 2021 en France -, “Three Jokers”, proposée par Johns et Fabok, qui revient sur ses itérations les plus marquantes et les traumatismes qu’il a pu causer... : au vu des 2 premiers épisodes, un futur Must-have.

Joker – broché - 144 pages - 14,50€ - édition française Urban Comics

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