16oct.

Alan Moore présente Swamp Thing

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Créature végétale profondément tragique, née d’une improbable fusion entre un esprit humain et la flore d’un marais, Swamp Thing porte en lui la colère et les sentiments de l’homme ainsi que la puissance et la magnificence de la nature. Depuis sa transformation en Golem vert, celui qui fut Alec Holland a vécu de nombreuses aventures, a découvert les avantages de son nouvel avatar et a accepté   sa condition qui le place en marge de cette humanité qu’il cherche pourtant à retrouver. Tout est cependant remis en question à la faveur d’une découverte majeure sur le monstre, effectuée à l’occasion d’expériences sur ce qui semble être sa dépouille : outre le niveau réel d’interactions avec la nature que peut avoir Swamp Thing - qui plutôt qu’un « simple » surhomme ou « super-légume » l’orienterait plutôt dans la catégorie avatar semi-divin du végétal -, son identité-même est remise en question : la créature n’a jamais été Alec Holland mais une plante qui se croyait être le scientifique, imprégnée de sa conscience. Il paraît dès lors compliqué de retrouver une humanité dont on n’a jamais fait partie…Plus extraordinaire encore, la magnitude de ses capacités est bien supérieure à ce que tous pensaient - sa connexion avec la flore est mondiale et à un niveau particulièrement étendu - et son existence ne paraît pas être si due au hasard que cela, d’autres créatures du marais ayant existé aux travers des siècles, héros de la nature et hérauts d’un mystérieux « Parlement des Arbres »… Ces vérités - et le nouveau statut qui en découle - changent radicalement la perception qu’à la créature du monde et son rapport à celui-ci. Désormais ultime défenseur de la flore et garant de sa survie, sa condition de représentant de forces fondamentales en fait une cible de choix pour des avatars bien moins vertueux, des monstres dénués de tout scrupule, des forces liées au plan mystique et au-delà, ou tout simplement les hommes qui craignent ce qu’ils ne comprennent. Plutôt que de l’éloigner définitivement de l’humanité, toutes ces aventures, aux connotations sociétales, politiques voire métaphysiques vont le renforcer et lui permettre de trouver sa voie et faire toute la lumière sur les mystères qui l’entourent. Il y sera aidé par des connaissances pétries de bonnes intentions, des amis pas toujours bien intentionnés, des héros au panache loin d’être immaculés, des circonstances tout sauf monotone - entre fin(s) du monde et crises écologiques, dimensionnelles ou planétaires, il y a de quoi faire - et surtout celle avec qui il sera amené à partager le plus profond des liens : Abigail Arcane. Redéfinition d’un personnage et de son univers, récit initiatique et quête introspective, conte fantastique et saga horrifique, mâtinés de considérations sociales, politiques et sciences fictionnelles, les épisodes de Swamp Thing écrits par Moore sont un pur régal de lecture aux thématiques riches et intemporelles. A savourer impérativement.

Création de Len Wein et Berni Wrightson en 1971, le succès de la Créature des Marais a été tel qu’ elle a bien vite eu droit à sa série mensuelle, débutée en 1972 et arrêtée en 1976. Relancée en 1982, les mêmes bases sont conservées jusqu’à l’arrivée d’un jeune auteur, pas encore auréolé de l’estime et du succès dont il jouit aujourd’hui, Alan Moore donc, qui la redéfinit entièrement dans le concept, le ton et les thématiques, faisant des épisodes qu’il a écrits - du 20 au 64 - des monuments, de véritables classiques instantanés, qui peuvent se lire en-dehors de toute continuité. Ecrites il y a 40 ans et pourtant terriblement actuelles, ces petites merveilles qui s’auto suffisent créent une tapisserie d’une cohérence absolue et s’avèrent des essentiels tant dans l’écriture, le style et le graphisme (la forme ) que dans la critique sociétale - le racisme ; les relations hommes/femmes ; le capitalisme ; l’écologie… -, l’exploration psychologique - la perte d’identité ; l’anthropomorphisme ; les relations… - et les questionnements métaphysiques (le fond). Lyrique et littéraire, l’écriture de Swamp Thing n’hésite pas à se montrer angoissante et métaphysique, préfigurant certaines œuvres futures de Moore. Le récit dans son intégralité, s’il peut être divisé en plusieurs parties distinctes, a pour fil conducteur les doutes de la Créature et sa prise de conscience des intérêts supérieurs qu’il sert et de la voie qui lui a été tracée : celle de la flore. Si Swamp Thing est l’objet de réels tourments, tant physiques que psychiques, et l’acteur d’extraordinaires pérégrinations, pour certaines psychédéliques voire clairement méta, la beauté, la dangerosité, les horreurs et les merveilles de la nature dans ce qu’elle a de plus sauvage et de plus primal demeurent des éléments clés qui n’hésitent jamais à se rappeler au lecteur - le médium comics le permet d’autant plus facilement -. Dès les 1ers épisodes, Moore joue avec cette ambiance « verte » - la nature, ce qu’elle est et ce qu’elle représente - et « rouge » - les hommes, leurs sentiments et leurs perceptions - pour créer avec cet antagonisme/complétion les conditions d’une redéfinition totale de la Créature : relecture de son origine et maximalisation de son potentiel allant de pair avec une tension dramatique accrue - les enjeux initiaux n’étaient pas les bons - et un questionnement intime majeur - que suis-je ? -. L’auteur en profite pour intégrer une galerie proprement terrifiante d’adversaires, dont la plupart oscille entre la démence, l’abject, et le pathétique, et qui tous portent soit un message « dévoyé » - le Floronique Man, « éco-terroriste » délirant -, soit s’avèrent des vaisseaux pour parler de sujets « sensibles » de société. Les antagonistes monstrueux utilisé, souvent issus des séries B d’horreur - zombies, vampires, extra-terrestres …-, sont autant de métaphores des maux qui gangrènent la société, faisant entrer l’œuvre dans la catégorie mature et ce, à tous les titres ; la relation que noue la créature avec Abigail, passionnée et hors-norme, participe à cet état des lieux de l’humanité, s’inscrivant presque comme un négatif des effroyables thèmes évoqués par Moore : c’est une relation pure, enchanteresse, naturelle et débarrassée des oripeaux sociétaux bien-pensants et formatés, prenant pleinement sa place dans le canevas du monde.  A travers ces extrêmes, les tendances anarchistes et contestataires de Moore trouvent ainsi à s’exprimer pleinement, au service d’une histoire forte, riche et pour tout dire essentielle. Au niveau graphique, l’ambiance à la fois déliquescente, psychédélique et romantique que nécessite un tel projet est assurée par le duo Steve Bissette et John Totleben : c’est un noir ravissement, une évidence tant le dessin épouse la prose. L’esthétique fantastico-horrifique inhérente au personnage est incroyablement rendue, magnifiée par de subtiles touches graphiques et un découpage tout bonnement sidérant. « Alan Moore présente Swamp Thing » mérite à n’en pas douter son statut d’œuvre culte et exceptionnelle, tant le fond et la forme s’y sont harmonieusement unis. Assurément un incontournable des comics.

Scénariste majeur de comics devenus des classiques - Watchmen ; V for Vendetta ; League of Extraordinary Gentlemen ; The Killing Joke ; From Hell ; Lost Girls…-, écrivain formidable à l’ambition démesurée et à l’érudition impressionnante - Jérusalem ; la Voix du Feu … -, misanthrope révolutionnaire et sorcier de la contre-culture, Alan Moore est le champion incontesté de l’écriture et de la rébellion. Sa réinterprétation de Swamp Thing s’inscrit dans le panthéon extraordinaire qu’il a construit en quasi cinquante ans de carrière. John Totleben, dessinateur classique, versé dans l’horreur et prompt à tester de nouveaux styles graphiques a été souvent attaché à des projets DC Comics – Green Lantern ; Superman ; History of the DC Unbiverse… - et a collaboré à moult reprises avec Moore – Ligne ABC Comics ; Miracleman…-. Son comparse Stephen Bissette, scénariste et dessinateur, s’est surtout illustré, à ces 2 titres sur Swamp Thing. Retiré aujourd’hui du monde des comics, il est professeur de dessin, spécialisé dans le cartoon.

Pour qui : toutes celles et tous ceux à la recherche d’un fabuleux récit d’amour et de mort, en phase avec les thématiques sociétales / ceux qui aiment ou veulent découvrir cet auteur majeur qu’est Alan Moore/ ceux qui veulent découvrir LA série qui a provoqué la création du label Vertigo - comics pour adulte de DC -/ ceux pour qui les comics sont pour les enfants et sont convaincus de l’inanité du médium…et surtout pour leurs contempteurs : les uns seront déçus, pas les autres - / Ceux qui veulent découvrir un comics à nul autre pareil, véritable œuvre d’art graphique et scénaristique / lecteurs avertis - 16 ans minimum -

Le + :  Sur la fin de son run sur Swamp Thing, Moore travaillait en parallèle sur un autre projet qui prenait tout son temps et qui a eu un retentissement mondial : Watchmen. Par ailleurs, c’est dans les pages de Swamp Thing - n°37 - qu’apparaît pour la première fois un magicien égocentrique et véritable enflure mi-escroc, mi-héros qui connaîtra un succès retentissant chez Vertigo : John Constantine, personnage principal de la fabuleuse série Hellblazer. 

 

Alan Moore présente Swamp Thing - saga complète en 3 tomes - broché - 450 pages par tome - 35 € - édition française Urban Comics

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