15mai

Y Le Dernier Homme, un cocktail équilibré entre émotion et réflexion

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Un évènement mondial - Arme bactériologique ? Epidémie ? Châtiment Divin ? - amène à l’éradication de 48% de la population mondiale. Le point commun de tous les disparus : le chromosome Y qu’ils partag(ai)ent. Dit différemment, l’intégralité des mâles, toutes espèces confondues - et donc humaine incluse -, s’est purement et simplement vue envoyer Ad Patres et a disparu de la surface de la terre.

Deux représentants de ce qu’il est désormais convenu d’appeler un genre en danger - voire, et c’est plus juste, en voie d’extinction -, potentiellement à-même de permettre la perpétuation de l’espèce, demeurent cependant : Yorick Brown, New-Yorkais un peu looser et artiste de l’évasion - émule du Grand Houdini, la case magie cochée en moins et le côté Gaston Lagaffe en plus - et son singe capucin particulièrement indiscipliné, Esperluette, ont mystérieusement été épargnés, devenant les derniers mâles sur terre.

Après la survenance de cette catastrophe aux proportions bibliques, Yorick n’a cependant qu’une idée en tête, quitter les Etats-Unis pour rejoindre l’Australie où vit sa petite amie - qu'il a eu la bonne idée de demander en mariage -. La difficulté majeure à laquelle il va se trouver confronté - et dont il n’a absolument pas pris la mesure - réside dans l’unicité de sa situation : il est le dernier représentant mâle de l’espèce humaine.

Devenus symboles d’une ère passée, la simple existence de Yorick et d’Esperluette va déclencher une série d’évènements majeurs dans un monde qui leur est devenu, par la force des choses, étranger et où les valeurs comme les mentalités ont évolué en conséquence. Pourchassés tels des monstres de foires ou attendus tels de précieux miracles, tout à la fois sujets de détestations, objets d’adorations, projets scientifiques et objectifs politiques, nos 2 spécimens vont rencontrer de nouvelles amies, (re)nouer des liens, découvrir de nouvelles communautés et idées sociétales, tenter de survivre aux zélotes et aux fans, et échapper aux organisations politiques, scientifiques, religieuses voire sectaires qui les traquent ou veulent les utiliser.

Accompagnés d’une généticienne spécialisée en clonage et sous la protection de la mystérieuse et mortelle Agent 355, Yorick et Esperluette vont chercher des réponses - et en trouver, souvent à l’insu de leur plein gré -, traverser ces Etats-Unis nouvelle version et tenter d’atteindre le pays des kangourous.  Ce sera surtout l’occasion pour Yorick de se découvrir, de se repenser et de trouver sa place dans cette nouvelle communauté mondiale exclusivement féminine. Un formidable voyage et une incroyable aventure dans un monde où si tout a changé, certaines choses – et non des plus plaisantes – demeurent immuables...

Sur un sujet original, en mode science-fictionnel assumé et intrigant, Y The Last Man - titre originel et double référence affichée au héros au prénom shakespearien en diable ( hello Hamlett) ainsi qu’au chromosome “mortel” dont les mâles sont porteurs - propose un récit d’anticipation haut en couleur, mâtiné de critique sociale et sociétale, et basé sur une inversion totale des rôles : les hommes sont ainsi réduits à une portion plus que congrue - un membre en tout et pour tout sur la planète, pas du tout un mâle alpha mais un homme ordinaire à qui l’on fait endosser tous les rôles de ses ex-congénères, étant le seul sur qui l’on peut calquer l’intégralité de leurs anciens us, coutumes, images et habitudes   -  et les femmes qui doivent s’accommoder d’une situation inédite et à première vue définitive, et réinventer une société qui s’avère vite assez peu adaptée à un tel déséquilibre et qui nécessite d’être repensée en conséquence.

Sous couvert d’une œuvre post apocalyptique relativement classique, mettant en scène la disparition totale et mystérieuse d’un pan/groupe complet de la société – on pense à Jeremiah (BD et série TV) et sa disparition globale de tous les adultes ;  la société incapable d’enfanter vue dans le film “Les fils de l’Homme”  - engendrant la chute de la civilisation telle qu’elle est connue et nécessitant de fait de revoir l’intégralité des modes de vie, c’est surtout à une réflexion engagée et très actuelle sur la place des hommes et des femmes dans la société - ainsi que sur les notions d’égalités telles qu’elles sont encore aujourd’hui présentées - à laquelle nous convie, avec finesse, rouerie et drôlerie, Y Le Dernier Homme.

Très bien dépeints et loin d’être anecdotiques, les agendas, les caractères, les secrets et les spécificités de chaque personnage, à commencer par Yorick, sonnent justes, tantôt étonnants ou touchants, terriblement égoïstes ou profondément humains, toujours surprenants et emprunts de tendresse. C’est un récit dense et fort bien mené, un cocktail équilibré entre émotion et réflexion qui a le bon goût, s’il sait faire la part belle à l’action, à l’humour et aux références à la culture populaire, de ne jamais oublier son caractère feuilletonnant en recourant à un suspense “de tous les diables” à travers les fameux cliffhangers de fin d’épisode - qui ne sont souvent pas là à titre gratuit mais ont de véritables répercussions -. Une aventure véritablement intelligente et hautement recommandable qui sait jouer avec les lieux communs et tordre certaines idées reçues avec brio.  

Brian K.Vaughan, le scénariste, a travaillé pour les 2 maisons d’édition “de référence” dans le monde du comics que sont Marvel ou DC avec plus ou moins de bonheur. Ce sont ses créations originales Y The Last Man et Ex Machina qui lui ont permis de se faire un nom et de s’imposer comme un auteur à suivre. Sa dernière série, toujours en cours de parution, “Saga” est à ce jour son œuvre la plus aboutie, émotionnellement, intellectuellement comme artistiquement : elle a reçu un accueil critique et public exceptionnel, parfaitement mérité au vu de cette véritable perle d’écriture, formidable histoire d’une famille en fuite, de ses liens, des petites trahisons et de l’amour qui les lie. La partie graphique de Y Le Dernier Homme, initialement assurée par Pia Guerra puis par Goran Sudzuka, propose, de façon très cinématographique dans le découpage, une description claire et accessible de ce nouveau monde aux possibilités infinies - si l’on en excepte certaines -. Le dessin, assez neutre dans son style et le choix de la palette de couleurs utilisée, est véritablement là pour servir le récit - aucune prise de risque graphique - en faisant le vaisseau parfait pour profiter dans les meilleures conditions d’une histoire de très grande qualité.

Pour qui : toutes celles et tous ceux à la recherche d’un récit d’anticipation prenant et plein d’humour ; les convaincus de l’égalité des sexes et ceux qui n’y croient pas ; les fanas de clins d’oeil à la culture populaire, particulièrement intéressés par l’histoire des Etats-Unis (nombre de références) ; ceux qui attendent d’un divertissement qu’il soit complet, combinant de façon fluide réflexions badines – et plus sérieuses selon le niveau de lecture adopté - et détente pure / tous lecteurs  - dès 14 ans -

Le + : Riche de 60 épisodes - comme souvent chez Vertigo -, Y Le Dernier Homme s’est vu décerner de multiples prix - dont 3 Eisner Awards -. Le caractère très feuilletonnant du récit et le sens de la mise en scène développé à cette occasion a permis à Vaughan d’intégrer le pool de scénaristes de la série TV à succès “Lost”; il deviendra par la suite producteur et showrunner de la série TV - à l’accueil mitigé - “Under The Dome” puis consultant sur la série “Runaways “ - comics qu’il a précédemment scénarisé en comics pour Marvel -.  Y The Last Man - la série télé - est actuellement en cours de développement par la chaîne FX mais n’a pas encore de date de diffusion. 

Y Le Dernier Homme - broché - série complète - 5 tomes - 28€ l’unité - environ 300 pages chacun - édition française Urban Comics

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