17juil.

Dark Night : une histoire vraie

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Dark Night : une histoire vraie

Si la couverture le met en vedette - et en valeur -, si le titre en soi tend à lui rendre hommage - de façon déguisée, “Night” (nuit) remplaçant “Knight” (chevalier) -, le malentendu “normal” en résultant doit de suite être écarté : il ne s’agit pas ici d’une énième aventure de Batman...même si sa personne et son univers sont plus qu’intimement liés - et à bien des titres - au récit présenté. La supercherie éventée, revenons au sujet premier d’un titre liant autant fiction et réalité qu’histoire revisitée et mythes intemporels pour aboutir à un récit personnel tragique et touchant. Le héros - l’anti héros diraient certains - de notre histoire, Paul Dini a une vie qui en tout point correspond à un rêve de fan devenu réalité : enfant solitaire passionné par les dessins animés, bandes dessinées et livres, il grandit avec ce monde intérieur très riche, peaufinant ses talents de conteur et s’imaginant converser avec ses héros. A 8 ans, il découvre Batman et ne le quittera plus, lui devant nombre de succès dans sa vie professionnelle et chamboulant la vie du justicier de Gotham en retour, liant à jamais leurs destins. Dini va ainsi suivre des cours d’écriture et d’animation avant de rejoindre en 1989 les studios Warner, pour lesquels il scénarisera d’abord les dessins animés “Tiny Toons” et “Animaniacs”, puis rencontrera le succès avec la série d’animation multi-primée “Batman” - il y créera le personnage devenu classique d’Harley Quinn -. Auréolé de sa petite notoriété et un brin narcissique, le jeune scénariste n’arrive cependant pas à être heureux : il collectionne les babioles et recherche de façon quelque peu pitoyable l’amour auprès de femmes qui ne lui correspondent pas...Il continue pourtant, comme lorsqu’il était enfant, à échanger sur ses expériences et ressentis avec ses héros qui désormais appartiennent tous à l’univers de Batman - le fameux Bat-Verse -, ce qui donne lieu à des scènes cocasses, étonnantes voire sensibles. Jusqu’à ce qu’un soir, au retour d’un énième et pathétique rendez-vous raté, sa vie ne bascule totalement : il est brutalement agressé, de façon traumatisante et gratuite...Cet évènement, qui le hante encore aujourd’hui, le force à se regarder sans fard et à s’assumer. Devenu victime, Dini va exorciser ses démons en mettant en perspective cette expérience douloureuse avec les personnages qu’il a écrits et qui toujours l’ont accompagné : sa psyché va ainsi se matérialiser sous les traits, tant physiques que psychologiques, du Joker, de Batman ainsi que ceux d’une grande partie des criminels costumés de Gotham pour lui permettre de comprendre son traumatisme et d’en guérir. Un portrait lucide quoiqu’imparfait d’un auteur au service d’une histoire touchante et superbement illustrée. Une expérience inédite pour un concept de haute volée.

 

"Dark Night : une histoire vraie” est un récit troublant et profondément cathartique qui prend la forme d’un exercice de style, d’une thérapie graphique, chargée de toutes les émotions qu’il a pu traverser, que s’applique Dini. C’est une mise à nue déroutante, éloignée des sempiternels récits manichéens que l’on peut attendre de titres liés au justicier de Gotham, et surtout l’occasion d’une remise en cause de l’auteur, de son système de croyances ainsi qu’un questionnement sur la nature humaine et la perception de soi-même. L’introspection est au cœur de cette histoire particulière qui voit apparaître, de façon grave, drôle, singulière ou grinçante selon les séquences une grande partie du Bat-Verse, de Batman au Joker en passant par Killer Croc et autres Harley Quinn, chacun avec ses qualités et défauts, soulignant d’autant plus leur nature universelle et iconique. La mise en parallèle des avis émis par ces personnages de papier, en particulier avec la période post traumatisme de Dini, souligne l’importance des archétypes fictionnels en tant que référents culturels, versions déformées (de façon positive ou négative) de la réalité pour les imaginaires et par conséquent porteuses de sens - tant en termes de messages, de valeurs que de propositions - ainsi que l’interdépendance entre créations et créateurs, entre fiction et réel. De fait, chaque interaction entre Dini et ses “amis imaginaires” est l’occasion de comprendre la place que peuvent prendre de telles entités dans la (re)construction personnelle des individus ainsi que la force symbolique attachée à chacun d’eux. A ces titres, le rôle-phare est accordé à Batman qui telle une “bonne conscience” va guider Dini tout au long de son rétablissement, répondant en écho aux réflexions “humaines” de l’auteur par des propos froids, logiques et analytiques, typiquement attachés au personnage. La partie graphique est tout aussi passionnante que le scénario, Eduardo Risso usant de son formidable talent pour rendre une œuvre éblouissante qui épouse le propos et la psyché de Dini. La richesse de son trait, son changement de style perpétuel, la colorisation qu’il assume lui-même sont un régal pour les yeux et rarement le terme de narration graphique aura été aussi adapté. Chaque planche est une merveille et son choix d’intensifier ou d’alléger son trait selon les périodes auxquelles se réfère le scénariste capte parfaitement les émotions des intervenants, en illustre parfaitement le texte et en met en valeur le contexte. “Dark Night : une histoire vraie” est une pépite à véritablement recommander, en même temps autobiographie semi fantasmée, réflexion sur l’humain et sa capacité de résilience et formidable ode à la création.  

S’il s’est initialement fait connaître dans l’animation, en particulier avec la série animée Batman - devenue aujourd’hui un classique - Paul Dini s’est également illustré dans le jeu vidéo - Batman : Arkham Asylum et Arkham City pour les plus connus -, le cinéma - Maléfique avec Angelina Jolie - Fidèle à son personnage fétiche, il a repris à partir du n°821 (2006) la série Détective Comics - centrée sur Batman et son univers - avec de mémorables sagas - “Heart of Hush”etc... - ; il y est resté jusqu’en 2010. Collaborateur régulier de Brian Azzarello, avec qui il a réalisé l’incontournable série Vertigo “100 Bullets”; Batman : Cité Brisée ; Moonshine...le dessinateur argentin Eduardo Risso est un habitué des œuvres noires et fortes qui correspondent parfaitement à son style tout en ombre et au trait immédiatement reconnaissable. “Dark Night : une histoire vraie” est ainsi une franche réussite tant au niveau scénaristique qu’au niveau graphique.

Pour qui : toutes celles et tous ceux qui veulent découvrir une lecture originale et touchante, doublée d’une singulière autobiographie teintée d’auto-analyse ; les fans du dessin animé Batman des 90’s ; ceux qui savent qu’un simple comics peut apporter beaucoup plus que ce qu’on pense y trouver ; ceux qui n’oublient pas que derrière chaque adulte se cache la somme des expériences et passions qu’il a eues enfant / lecteurs avertis - dès 16 ans -

Le + : Courant 2020, Paul Dini revient au Batman de la série animée des années 90 avec un comics en 6 numéros Batman : The Animated Série (TAS), en collaboration à l’écriture avec Alan Burnett et dessiné par Ty Templeton. A l’inverse, et contrairement à certaines annonces, Dini ne devrait pas collaborer au nouveau jeu vidéo Batman - avec normalement toujours le studio Rocksteady aux manettes -, qui doit prochainement faire l’objet d’une présentation officielle alors même qu’il en a co-scénarisé 2 épisodes.

Dark Knight : une histoire vraie - broché - 128 pages - 14,50€ - édition Urban Comics

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